Indéfinissables ?

Chères lectrices, chers lecteurs

Autant commencer par l’actualité, bien que Repères n’ait pas pour vocation première de la commenter. Le préfet de l’Isère a introduit un « déféré-laïcité » devant le juge contre la délibération autorisant le burkini dans les piscines de Grenoble. Le tribunal administratif lui ayant donné droit, le nouveau règlement est suspendu. Dans cette affaire, chaque partie se réfère à sa conception de la laïcité. L’un des intérêts du livre de Gwénaële Calvès sur La laïcité est de nous expliquer pourquoi un tel conflit d’interprétations existe. Le droit de la laïcité s’organise autour de quatre pôles : liberté (de conscience et de religion), séparation du politique et du religieux, neutralité confessionnelle des personnes publiques, non-discrimination. Dès lors que l’on privilégie l’un ou l’autre de ses pôles, ou la combinaison de deux d’entre eux, la perspective sur le régime français de laïcité change du tout au tout. De quoi nourrir longtemps la controverse.

La laïcité est l’une des réponses à la question des règles permettant de vivre pacifiquement ensemble dans une société démocratique. Mais l’histoire nous enseigne que les démocraties sont fragiles et les raisons de s’inquiéter sont aujourd’hui nombreuses. Parmi elles, la concentration de la propriété des médias, qui menace l’expression du pluralisme des opinions. Au point qu’une commission d’enquête du Sénat a récemment rendu un rapport qui conclut à la nécessité de réformer une régulation dépassée par les évolutions récentes. Paradoxalement, il existe peu de travaux sociologiques sur les dirigeants de presse, du moins en France (ce n’est pas le cas aux États-Unis). C’est l’une des qualités du Repères de Julie Sedel, Sociologie des dirigeants de presse, que de combler cette lacune. On ne s’étonnera pas que l’une des questions traitées soit celle de l’influence directe, ou indirecte, exercée par les actionnaires sur la ligne éditoriale.

À partir des années 2000, la Banque mondiale a mis en évidence le poids des troubles psychiatriques dans ce qu’elle appelle le « fardeau global des maladies ». Elle les présente comme des pathologies de civilisation, au même titre que les maladies cardiovasculaires ou les cancers. Les maladies mentales n’apparaissent plus en marge de la société, mais comme un révélateur des désordres sociaux de l’époque. L’Histoire de la folie à l’âge classique de Michel Foucault, publiée en 1961, avait, en son temps, suscité une effervescence intellectuelle, mais cet élan ne s’était pas prolongé au-delà des années 1980. Le livre Maladies mentales et sociétés (XIXe-XXIe siècle) de Nicolas Henckes et Benoît Majerus, qui combine les regards d’un sociologue et d’un historien, montre que l’on assiste depuis une quinzaine d’années à un renouveau des travaux de recherche sur ce sujet difficile (que l’on songe par exemple au recueil des témoignages des patients). L’une de ses conclusions est que nos sociétés conservent un rapport conflictuel avec les troubles psychiques, qui continuent à être analysés comme des formes de déviance. Autrement dit, elles demeurent incapables de normaliser la maladie mentale.

Nous terminerons la présentation de cette livraison par un Repères susceptible d’intéresser les parents qui nous lisent : Sociologie des pédagogies alternatives. Il s’agit là d’un ensemble très hétérogène et mouvant, car ce qui paraît alternatif à une époque peut devenir la norme de l’époque suivante (un exemple anecdotique parmi d’autres : lever le doigt). Ghislain Leroy distingue par exemple les pédagogies « nouvelles » des pédagogies « subversives ». Et les nouvelles paraissent parfois anciennes (l’Émile est publié en 1762). Pour ma génération, la première référence était Célestin Freinet, pour partie aussi à cause de son engagement politique. Il paraissait également radical d’évoquer Alexander S. Neill, et son Libres Enfants de Summerhill, bestseller des années 1970, même si l’on peut se demander s’il s’agissait encore de « pédagogie ». Aujourd’hui, le « fait social » est le succès spectaculaire des écoles Montessori, dont le nombre augmente en France au rythme de 6 % par an (il faut noter toutefois que ce n’est pas une « marque déposée »). Cela s’explique-t-il par l’idéologie du moment (par exemple l’individualisme et l’exigence d’autonomie, mais au service de la réussite personnelle) ? Ou par les défaillances de l’École publique ? C’est l’occasion pour l’auteur d’étudier une question majeure : ces pédagogies alternatives ne seraient-elles pas inégalitaires ? Dans quelle mesure conviennent-elles mieux à des enfants de milieux favorisés qu’à des enfants qu’une certaine « autonomie » peut au contraire desservir, dans la durée ? J’ignore ce qu’en pense le nouveau ministre, mais il semblerait que la pédagogie, alternative ou pas, ce n’est jamais simple.

En vous remerciant pour votre fidélité.

Pascal Combemale