Regardons plus loin

Chères lectrices, chers lecteurs,

Les élections sont un moment propice à l’expression, plus ou moins violente, de nos désaccords. Il en existe peut-être au sein de la famille élargie des lecteurs et lectrices de Repères. Mais, je l’espère, sur un fond consensuel que je résumerais par cette citation connue de Marx : « L’ignorance n’a jamais aidé personne. » De ce point de vue, il est permis d’être désolé par l’une des caractéristiques des débats politiques tels qu’ils sont mis en scène par les médias : sauf exception méritoire, ils laissent penser que notre pays vit en autarcie, comme s’il était seul au monde, au moment même où la pandémie, l’urgence écologique et la guerre sur notre continent devraient nous rappeler à quel point nous sommes dépendants.

Les trois livres publiés en avril ont pour point commun de nous inviter à porter le regard au-delà de nos frontières. Le premier, celui de Laurent Warlouzet, retrace l’Histoire de la construction européenne depuis 1945. Il vient compléter le Repères de Guillaume Courty et Guillaume Devin, La Construction européenne, qui adoptait une perspective de science politique. L’habitude a été prise de considérer que l’Europe progressait pendant et par les crises. Nous y sommes. L’actualité nous renvoie à la Communauté européenne de défense, dont le traité, pourtant signé en 1952, ne fut pas ratifié par l’Assemblée nationale en 1954. Nous verrons si l’histoire bégaye.

Le deuxième livre nous rappelle que nous sommes des privilégiés, bien que très inégalement. Plus d’un milliard d’êtres humains tentent de survivre dans des bidonvilles. Ils seront 2 milliards en 2030, soit plus d’un quart de la population mondiale. La bidonvillisation est l’une des formes prises par l’urbanisation planétaire ; à l’autre pôle se trouvent les enclaves résidentielles hautement sécurisées. Avec le talent qu’on lui connaît, Thierry Paquot nous décrit dans Les Bidonvilles les multiples aspects de cette réalité désespérante, toutefois plus diverse et contrastée qu’on ne l’imagine a priori. Il le fait avec beaucoup d’humanité, souvent au plus près du terrain, sans manichéisme. Mais se vérifie qu’il est difficile de lutter contre des phénomènes de cette ampleur dont les causes premières se trouvent à une échelle qui dépasse celle des acteurs locaux. Une situation qui risque de s’aggraver avec l’augmentation du nombre de réfugiés climatiques.

Je me souviens de l’apparition surprenante, à la télévision, lors de la campagne de 1974, d’un monsieur aux cheveux blancs, en pull rouge, avec un verre d’eau. René Dumont, qui venait de publier L’Utopie ou la mort, fut le premier candidat écologiste, deux ans après la sortie du rapport Meadows. Certes, on ne se préoccupait pas alors des gaz à effets de serre, mais la question d’une bifurcation, imposée par les limites naturelles, était posée dès les années 1970. Elle fut engloutie jusqu’à la fin du siècle. En 2002, Jacques Chirac a repris la formule : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Seulement la formule. Vingt après, nous continuons à perdre un temps précieux. Dans L’Écologie politique en France, Bruno Villalba cherche à expliquer ce paradoxe de la faiblesse relative de l’écologie politique au moment même où, rapport du Giec après rapport du Giec, une prise de conscience de ces enjeux devrait lui donner plus de force et d’audience. Entre le politique et l’écologique, il y avait un conflit d’horizons : va-t-il s’estomper ?

Je vous souhaite malgré tout un agréable printemps.

Pascal Combemale