Repères au chaud

Chères lectrices, chers lecteurs,

 

Il n’existe pas de lien évident entre les quatre titres de cette livraison d’octobre-novembre, sinon, bien sûr, la qualité « Repères ».

Longtemps, l’Espagne est restée pour nous le pays de la guerre civile, puis celui d’une longue dictature. Bien que les dirigeants actuels ne l’aient pas vécu, le retour à la démocratie n’est pas si lointain : Franco est mort en 1975 ; la Constitution, qui date de 1978, institue une monarchie parlementaire. Les attentats de l’ETA, le terrorisme anti-terroriste des GAL, la tentative de coup d’État de 1981 ont suivi. Plus récemment s’est manifesté l’indépendantisme catalan, dont la poussée a conduit au référendum de 2017 et à la fuite de Carles Puigdemont en Belgique. En 2019, la vivacité de la contestation de l’exhumation de la dépouille de Franco de la Valle de los Caídos a montré que les déchirures du passé n’étaient pas oubliées. Les compromis issus de la transition vers la démocratie ne sont pas intangibles.

Qu’il s’agisse des revendications indépendantistes ou de la remontée de l’extrême droite, la démocratie espagnole apparaît donc fragile, d’autant qu’une conjoncture économique relativement bonne ne peut masquer de très grandes inégalités, avec une proportion importante de pauvres et de travailleurs précaires. Récemment, les élections n’ont pas donné au gouvernement une majorité stable.

Pour comprendre ce qui se passe chez notre voisin, nous vous invitons donc à lire La Politique en Espagne d’Hubert Peres.

L’échec de l’Invincible Armada a marqué le déclin de la puissance navale espagnole. Longtemps, l’Angleterre est parvenue à dominer les mers (Rule the Waves). Pour devenir une puissance mondiale, les États-Unis ont dû construire la première force aéronavale. La Chine, qui possédait au xvie siècle une flotte impressionnante, peut regretter de l’avoir détruite plutôt que de conquérir le monde (le célèbre amiral Zeng He avait atteint Aden). On pourrait multiplier les exemples. Mais la maîtrise des océans n’est pas seulement un objectif militaire, c’est aussi un enjeu économique et, plus encore aujourd’hui, écologique et alimentaire. Rappelons par exemple que 98 % des communications internationales passent par des câbles posés au fond des océans. Le bon sens devrait conduire à une gestion coopérative de cette ressource vitale (nous ne connaissons qu’environ 10 % des grandes profondeurs). Or on assiste au contraire, dans un monde de plus en plus multipolaire, à une montée de la conflictualité. Il n’est pas exagéré d’avancer que notre avenir se jouera aussi sur mer. Le Repères Géopolitique des puissances maritimes de Pierre Royer nous permet de mieux le comprendre.

La pandémie de Covid-19 nous a rappelé brutalement un autre aspect de la mondialisation. Ou plus précisément « des » mondialisations de la santé : celle de la première moitié du xxe siècle qui s’inscrivait dans le cadre du gouvernement des colonies européennes ; celle des années 1950 à 1980, marquée par le rôle des État-nations issus des décolonisations en Afrique et en Asie ; enfin, depuis les années 1990, la globalisation, parfois qualifiée de néolibérale. La notion de Global Health ne renvoie pas seulement à la circulation, à l’échelle de la planète, des virus et des agents pathologiques, elle se réfère aussi aux critiques de la santé publique internationale telle qu’elle avait été organisée après la Seconde Guerre mondiale par les institutions des Nations unies. Les revendications d’une décolonisation de la santé globale dénoncent les inégalités profondes dans la production des savoirs et dans la représentation, au sein des institutions, des acteurs venant respectivement des Nords et des Suds. Les uns définissent les priorités et cherchent à contrôler, selon leurs intérêts, les politiques menées par les autres. À quoi il faut ajouter le lien entre santé et anthropocène.

Cette Introduction à la santé globale de Fanny Chabrol et Jean-Paul Gaudillière présente les travaux récents consacrés à ce champ d’action, principalement en histoire des sciences et en anthropologie. Sont traitées en particulier des questions aussi importantes que les politiques du médicament, les tensions entre médecine de laboratoire et médecine des populations, ou entre les savoirs véhiculés par les institutions internationales et les connaissances locales. Un Repères qui ne peut laisser indifférent.

La première édition de Économie de l’éducation, que nous devions à Marc Gurgand, date de 2005. Pour cette édition complètement retravaillée, Luc Behaghel et Julien Grenet l’accompagnent. C’est la matière même qui justifie ce renfort. En effet, ce sujet, de toute évidence primordial, a donné lieu à de très nombreux travaux de recherche, le plus souvent d’excellente qualité. La comparaison entre les deux livres est d’ailleurs un bon indice des progrès réalisés, notamment sur le plan méthodologique (expériences randomisées, quasi-expériences rendues possibles par la richesse des données, etc.). Les études relatives au capital humain occupent toujours une place importante, mais, au-delà, c’est l’ensemble du système éducatif qui est analysé, par exemple les « effets enseignants » ou les interactions entre les élèves. Ces avancées permettent de mieux évaluer les politiques publiques, aussi bien en termes d’efficacité que d’équité. Entre autres, la question de l’allocation des ressources est déterminante. Faut-il s’en remettre à des « quasi-marchés » ou privilégier des modes d’allocation plus centralisés et contraignants ? Les débats récents autour des algorithmes ou des effets de la discrimination positive, parfois très vifs, suffisent à confirmer que ces enjeux préoccupent le « grand public ». Voici un « Repères » que l’on peut conseiller non seulement aux étudiants, mais aussi à leurs parents.

 

Bien cordialement,

 

Pascal Combemale