Repères à temps

Chère lectrice, cher lecteur,

 

Repères n’a pas pour vocation de suivre l’actualité, encore moins de la prévoir. Mais les méandres de l’histoire recoupent parfois notre ligne éditoriale. Un exemple en est donné avec la publication d’un Géopolitique de la Russie, programmé bien avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Cet événement tragique n’avait pas été prophétisé, mais l’un des intérêts du livre de Lukas Aubin est justement de montrer que la connaissance conjuguée de l’histoire et de la géographie sert à le mettre en perspective. Grande comme deux fois les États-Unis et s’étalant sur onze fuseaux horaires différents, la Russie est un pays continent, multiethnique et multiconfessionnel. Que ce soit sous les tsars, les empereurs ou leurs successeurs, elle a toujours cherché à s’étendre, ou à reconquérir les territoires jugés temporairement perdus. En 1953, l’année de la mort de Staline, la superficie du territoire soviétique dépassait 22 millions de km2. En 1991, après l’effondrement de l’URSS, la Russie fut ramenée à ses frontières de 1683, soit 17 millions de km2 environ. De quoi donner des idées de reconquête à un admirateur du « père des peuples ».

De la géopolitique à l’économie mondiale, la transition n’est pas trop difficile. Le Repères annuel du CEPII, L’Économie mondiale 2023, est toujours très attendu. Coordonnée par Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran, cette livraison est particulièrement intéressante et diversifiée. On y retrouve une analyse de la conjoncture mondiale « face au précipice » (Thomas Grjebine), complétée par une base de données fort utile parce que synthétique, ainsi que des chapitres consacrés aux plans de relance (Jérôme Héricourt) ou au retour de l’inflation (Thomas Grjebine). D’autres thèmes sont renouvelés par leur mise en relation avec la transition écologique, qu’il s’agisse de la gouvernance d’entreprise (Michel Aglietta, Renaud du Tertre), de l’autonomie stratégique (Vincent Vicard et Pauline Wibaux) ou du commerce international (Cecilia Bellora). Par exemple, sachant que presque la moitié de notre empreinte carbone dépend de nos importations, faut-il changer de politique commerciale ? Enfin, le dernier chapitre dresse un tableau de l’immigration en Europe (Anthony Edo) et montre l’écart entre la réalité et la perception erronée qu’en a l’opinion publique, une méconnaissance politiquement instrumentalisée. Se trouve ainsi très bien illustrée la vocation de Repères, dont l’ambition est de contribuer à la qualité du débat démocratique par la diffusion de la connaissance scientifique.

Le troisième livre de ce mois semblera plus inattendu, dès la lecture de son titre : Le Don dans l’économie. Comment la science des comportements utilitaristes pourrait-elle rendre compte du don ? Depuis le célèbre essai de Marcel Mauss, les tentatives de résolution de l’énigme du don semblaient réservées aux anthropologues ou aux philosophes. Mais il n’est pas question ici des débats autour de l’essence du don, quant à savoir, entre autres, si un acte complètement désintéressé est possible ? Les autrices, Françoise Benhamou et Nathalie Moureau, qui connaissent bien les mondes de l’art et de la culture, partent d’une réalité observable, quantifiable. Aux États-Unis, il existe plus de 1,54 million d’organisations caritatives. Au total, les dons des Américains ont atteint plus de 471 milliards en 2020. La fondation Bill et Melinda Gates, à laquelle participe Warren Buffet, se prévaut d’une surface financière de 48 milliards de dollars, à comparer aux 6 milliards du budget de l’OMS (cette comparaison se justifie car l’une des actions de la fondation est la vaccination contre le paludisme). Autre exemple, plus proche de nous : après l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, les dons ont afflué en provenance du monde entier. Toutefois, le circuit des dons ne véhicule pas que de l’argent (ce qui déjà paradoxal). Il n’est pas nécessaire d’être fortuné, ou mécène, chacun peut donner de son temps, lequel n’est pas, du moins pour les économistes, « gratuit ». Les formes du don sont multiples, ambivalentes, difficiles à saisir analytiquement. Nous espérons que ce Repères suscitera la curiosité de nos fidèles lecteurs, mais nous devons à l’honnêteté de les prévenir : il n’est pas donné.

 

Je vous souhaite un excellent début d’automne.

 

Pascal Combemale