Prix Nobel d'économie 2019

Le 14 octobre 2019, le 51e prix de la Banque de Suède en sciences économiques à la mémoire d'Alfred Nobel a été attribué aux fondateurs de J-PAL, Abhijit Banerjee et Esther Duflo, tous deux professeurs au Massachusetts Institute of Technology (MIT), et à Michael Kremer, affilié J-PAL...
Après les French doctors et les French footballers, voici venu le temps des French economists, ce qui devrait améliorer notre balance courante et notre classement Shanghai...

 

Cette nomination d'une « jeune économiste française » a été célébrée, avec plus ou moins de superlatifs, et quelques nuances. Il est permis de se réjouir que le projecteur soit cette année braqué sur l'économie du développement, l'évaluation des politiques publiques et les questions méthodologiques.

Quiconque a connu jadis les grandes années de l'économie du développement, puis sa quasi-disparition et la douloureuse parenthèse du consensus de Washington, ne peut qu'espérer un renouveau de ces problématiques.

 

Des interrogations portent toutefois sur la méthode, dont les missionnaires sont appelés les « randomistas ». Chacun ayant plus ou moins connaissance du protocole consistant à donner un médicament à un groupe de traitement et un placebo à un groupe de contrôle, le profane se demande probablement pourquoi on n'y avait pas pensé plus tôt. En fait, on y avait pensé, mais l'une des raisons est que de telles expérimentations, à l'échelle de groupes sociaux, coûtent cher. Ce qui pose le problème du financement de la recherche et, par voie de conséquence, de l'exil de certains de nos chercheurs. Le succès est d'abord ici celui de l'Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab.

 

Comme tout bon outil, y compris le couteau suisse, la méthode des expérimentations aléatoires (RCT) n'est pas universelle : elle présente des avantages et des limites, selon ce que l'on recherche. L'approche est clairement microéconomique, voire explicitement anti-macroéconomique. Elle se veut modeste et pragmatique : aux grandes politiques qui échouent sans que l'on sache vraiment pourquoi, sont préférées les petites mesures « qui marchent ». Cette orientation se comprend au moment où elle a été choisie, après de nombreuses désillusions en matière de développement. On peut prendre le risque de prédire qu'elle n'évincera pas toutes les alternatives. Car s'il est utile de réparer le carburateur, il l'est au moins autant de découvrir pourquoi il ne fonctionnait pas et de s'interroger sur la direction prise par le véhicule...

 

Le débat porte également sur cette idée d'evidence-based policy, selon laquelle les politiques publiques devraient s'appuyer systématiquement sur des preuves scientifiques. Elle paraît à première vue difficile à contester, mais elle repose sur une vieille opposition entre la science, qui dirait « le vrai », et l'idéologie, qui contaminerait les choix politiques. C'est là une très ancienne controverse en sciences sociales que celle qui porte sur la neutralité axiologique, idéologique ou politique du savant. Il semble présomptueux de prétendre que les expérimentations aléatoires y mettent définitivement un terme. En démocratie, les politiques publiques doivent être évaluées, mais on attend des évaluateurs un peu de prudence et de modestie car la réalité sociale est historique et réflexive, compliquée par des effets émergents, des bifurcations, des prophéties autoréalisatrices, etc. Autrement dit, le gouvernement des hommes n'est pas l'administration des choses...

 

Il existe un très bon Repères sur les expérimentations aléatoires en économie. C'est le moment de le lire ou de le relire...

 

Pascal Combemale, directeur de la collection « Repères »