De retour !

Chère lectrice, cher lecteur,

 

La rentrée est un moment souvent désagréable. Il faut se réhabituer au travail, à ses collègues, à sa direction, etc. C’est aussi une période où l’on n’a pas le temps de faire tout ce que l’on souhaiterait faire. Par exemple, lire tous les livres apparemment intéressants qui viennent d’être publiés, en trop grand nombre. Nous le savons, nous le comprenons. Afin de ne pas en rajouter, nous vous proposons deux Repères, dont une nouvelle édition.

Le premier, signé par Gabriel Galvez-Behar, porte sur l’Histoire de la propriété intellectuelle. Pourquoi ?

La question de la propriété est au cœur des débats relatifs à notre système économique et social, depuis son origine. En effet, la propriété privée des moyens de production est l’un des éléments constitutifs du capitalisme, par les droits qu’elle confère sur le produit et le pouvoir sur l’organisation du travail, ou l’orientation des investissements. Symétriquement, la propriété collective des moyens de production pouvait paraître constituer l’une des conditions du socialisme, une première difficulté consistant à préciser ce que signifie « collective ». Cette ancienne opposition a été transformée par le progrès technique, qui a permis l’émergence d’un capitalisme dit « cognitif », ou « immatériel » (en 2019, 84 % de la valeur boursière des 500 plus grandes sociétés cotées aux États-Unis était constituée d’actifs immatériels pour un montant de plus de 20 000 milliards de dollars).

Cette évolution exigeait la construction sur longue période d’un droit de la propriété intellectuelle, qui ne va pas de soi. En effet, comme nous le savons tous, « Scientia donum Dei est, unde vendi non potest » (cet adage médiéval signifie que le savoir est donné par Dieu et ne peut donc pas être vendu). Certes, la revendication d’un droit d’auteur, en matière littéraire, et plus généralement artistique, peut sembler légitime. Mais l’extension de la propriété aux idées en général, par exemple sous la forme du brevet, était moins évidente. Elle fut toutefois indispensable à l’essor du capitalisme à l’ère du numérique et d’Internet, ces innovations favorisant au contraire plutôt la « copie » et la diffusion « gratuite » des informations. Le droit de la propriété intellectuelle apparut alors d’autant plus nécessaire, dans une logique de rentabilisation des investissements, que la propriété elle-même perdait apparemment son fondement matériel : on ne vendait plus des choses mais des droits.

Le débat est relancé par la problématique des communs de la connaissance, à la suite des travaux d’Elinor Ostrom, dont l’un des nombreux mérites a été de rappeler la complexité de la notion de propriété (bundle of rights), une erreur fréquente étant la confusion entre res nullius et res communis (pour continuer à enchanter celles et ceux qui ont pris le latin en option). C’est moins la propriété en tant que telle qui est en cause que la distribution et la limitation des droits conférés.

En relation avec des événements récents comme l’accès aux vaccins contre la Covid-19, les enjeux apparaissent clairement, dans leurs multiples dimensions : économique, politique, idéologique. C’est tout l’intérêt de la perspective historique retenue par Gabriel Galvez-Beharque de nous permettre de mieux les percevoir et de comprendre les effets de ces constructions juridiques, que rien ne nous interdit de réformer.

Le second Repères de cette livraison est la nouvelle édition du désormais classique Sociologie des classes moyennes, que nous devons à Serge Bosc. Il y a comme un cycle autour de ce sujet. Jadis, dans une perspective plutôt marxiste, on se demandait si les classes moyennes existaient en tant que « classes », entre le prolétariat et la bourgeoisie, inaugurant un jeu à trois qui changeait la donne. Puis on s’est convaincu de leur essor, voire de leur triomphe, au cours de la « seconde révolution française », en référence au livre d’Henri Mendras sur la « moyennisation » de la société et l’avènement d’une « constellation centrale » (il vaut peut-être la peine de rappeler aux plus jeunes que le barbecue, actuellement objet de polémique, joue un rôle dans cette histoire). Au point que presque tout le monde pensait appartenir ou aspirait à appartenir aux classes moyennes (Giscard d’Estaing, qui n’était pas sociologue, avait intitulé un de ses livres Deux Français sur trois). Mais on opposait déjà à l’image de la toupie celle du sablier (Alain Lipietz). L’augmentation des inégalités a ensuite conduit à se préoccuper, en relation avec la crise de la société salariale, de la déstabilisation des classes moyennes. Et, assez logiquement, pour boucler le cycle, à s’interroger sur le « retour des classes sociales » (pour reprendre le titre d’un article de Louis Chauvel). Une interrogation qui se complique si l’on élargit la perspective à l’échelle mondiale puisqu’on a assisté dans les pays émergents à une montée de ces classes moyennes (cf. les travaux de Branko Milanovic).

Il existe aujourd’hui une tendance à opposer les « riches », ou les « très riches », le fameux one percent, aux pauvres. Cette polarisation, qui ne manque pas de fondement, tend à occulter les classes moyennes. Or, qu’elles soient ou non « à la dérive », elles n’ont pas disparu. Plus encore, si l’on admet qu’elles ont partie liée avec la démocratie, il vaut la peine de s’y intéresser. Soit une bonne raison de lire ce Repères.

 

Je vous souhaite une aussi bonne rentrée que possible.

 

Pascal Combemale